Le désir dans la peau.

Crash

Depuis 1966, David Cronenberg nous plonge dans les méandres du corps humain. Les esprits et les chairs y sont disséqués, triturés, meurtris, malades, métamorphosés.

Au-delà des expérimentations des premiers temps, qui ont généré d’emblée chez les spectateurs l’intérêt, la curiosité ou l’aversion (pour les plus hermétiques), le cinéaste canadien a cultivé son statut de réalisateur « culte » auprès des initiés, construisant une œuvre singulière, riche et puissante, qui nous questionne sans relâche sur l’identité, le rapport au corps et la déliquescence des rapports humains.

En mai 1996, alors que « Vidéodrome », « Dead zone », « La Mouche » et « Faux-semblants » lui ont permis d’acquérir une forme de reconnaissance publique et de « respectabilité » auprès de la critique, Cronenberg est présent sur la Croisette, où il est sélectionné pour la première fois, afin de concourir au sein de la prestigieuse compétition officielle avec « Crash ».

Synopsis :

James et Catherine Ballard, un couple dont la vie sexuelle s’essouffle quelque peu, va trouver un chemin nouveau et tortueux pour exprimer son amour grâce aux accidents de voiture. A la suite d’une violente collision, ils vont en effet se lier avec des adeptes des accidents…

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne passa pas inaperçu. A l’issue de la première projection destinée à la presse internationale, de nombreux journalistes, majoritairement anglo-saxons, expriment un rejet clair et sans appel de l’œuvre, et ce d’une manière souvent lapidaire, violente. La projection publique ne se passe guère mieux et le film suscite dans les jours qui suivent de larges débats contradictoires sur la riviera…

Lors de la proclamation du palmarès, malgré les réticences du Président du Jury Francis Ford Coppola, le film décroche le Prix spécial du jury pour « son audace, son sens du défi et son originalité », grâce à l’insistance de deux de ses membres, les cinéastes Tran Anh Hung et Atom Egoyan.

Si le film rencontre un succès d’estime dans certains pays, notamment en France, les sorties anglaises et américaines se soldent par un flop retentissant…

Dans cette adaptation d’une nouvelle de J. G. Ballard publiée en 1973, James et Catherine Ballard (James Spader et Deborah Kara Unger), un couple dont la vie sexuelle s’essouffle quelque peu, va trouver un chemin inédit et tortueux pour exprimer son amour grâce aux accidents de voiture. C’est un photographe (Elias Koteas), fasciné par les blessures et les mutilations causées par ces événements, qui va amener le couple à cet univers morbide, lui permettant de retrouver, au travers du goût du danger, des corps accidentés et du plaisir de la tôle froissée, l’excitation qui leur fait défaut…

Le film, abattu par la critique et boudé par le public outre-Atlantique, impacta négativement la carrière de James Spader, qui avait pourtant décroché le Grand Prix d’interprétation à Cannes en 1989 pour « Sexe, mensonges et vidéo » de Steven Soderbergh. Ce n’est que plus tard que le comédien revint en force à l’écran, mais à la télévision cette fois, grâce à ses prestations dans « The Practice », « Boston Legal », « The Office » et « The Blacklist ». Quant à Holly Hunter (oscarisée pour « La leçon de piano »), Deborah Kara Unger et Rosanna Arquette, si elles poursuivirent leur riche parcours à l’écran, elles ne bénéficièrent d’aucune attention particulière suite à leur prestation dans le film.

Près de 25 ans après sa première diffusion, le public a aujourd’hui l’occasion de redécouvrir « Crash » en salles, dans sa version originale et intégrale, telle que présentée à Cannes, soit avec dix minutes supplémentaires par rapport à la copie diffusée depuis 1996 sur grand écran ainsi que sur différents supports numériques.

Il s’agit d’une occasion rêvée de se replonger dans ce qui constitue une œuvre majeure du cinéaste, qui entraine le spectateur, avec une implacable maestria, aux confins d’un univers à la fois glaçant et fascinant, portée par l’entêtante partition musicale signée Howard Shore.

L’obsession prend place, s’insinue au fil du récit, d’associations et de connections savamment orchestrées par le cinéaste… La quête (ou plutôt la reconquête) de l’excitation et du désir s’ancre, mécaniquement, compulsivement, dans l’esprit et la chair de ces personnages tentant de fuir leur vide existentiel, sans qu’il ne semble cependant y avoir la moindre issue, le moindre dénouement « libérateur » à l’horizon…

Sous une esthétique glacée se répandent les froissements des carrosseries et des chairs. Pourtant, l’œuvre cultive paradoxalement une certaine forme de douceur et de calme, qui nous ramène à une donnée fondamentale : la recherche de l’amour. Un amour ici fragile, qui, une fois réactivé par le désir, « redémarré », devient vrombissant et enivrant au fil des sensations nées des dérapages et des collisions, des chocs et des blessures…

Un Amour « à la limite ». Sulfureux. Chaotique. Désespéré. Vivant.

Note : 8/10

Vincent Legros – Le 20 juin 2020

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