Zurück in die Zukunft

 Dark 

Première série allemande produite par Netflix, « Dark » nous embarque dans les méandres du temps avec une métaphore complexe et captivante de la réalité. Mise en exergue dès l’entame par les mots d’Albert Einstein : « La distinction entre le passé, le présent et le futur n’est qu’une illusion tenace », ce thriller mélancolique fonctionne comme une horloge parfaitement réglée.

Souvent comparée (à tort) à la populaire « Stranger Things », la série créé par Baran bo Odar et Jantje Friese n’a en commun avec celle-ci que son synopsis car elle s’avère bien plus sobre et mature que sa consœur. Entre enquête policière et tragédie familiale, cet ambitieux thriller de science-fiction semble avoir des atouts à faire valoir. 

On parle souvent de « Deutsche Qualität » pour mettre en avant la qualité des produits fabriqués outre-Rhin, reste à voir si « Dark » en est digne.

Synopsis :

Lorsque deux enfants disparaissent dans la petite ville allemande de Winden, son passé tragique refait surface. Quatre familles à la recherche des enfants vont voir leur routine bouleversée et les secrets de chacun vont être mis en lumière.

Le temps est un des plus grands mystères de l’humanité, nombre de scientifiques ont étudié la question siècle après siècle avec des théories à la pelle, certains prétendent qu’il est linéaire, d’autres affirment au contraire qu’il est cyclique, que tout n’est qu’un éternel recommencement.

Les scénaristes de « Dark » ont opté pour la seconde option en proposant un voyage temporel : cette fois, pas de DeLorean comme chez Robert Zemeckis, mais bien une grotte au cœur d’une forêt qu’on croirait toute droit sortie d’un conte des frères Grimm. Une thématique qui peut s’avérer casse-gueule mais les show-runners s’en sortent avec brio, un scénario bien ficelé et d’une fluidité rare ; on sent qu’ils savaient dès le départ où ils voulaient emmener leurs personnages.

La trame narrative a été conçue comme un parfait dédale dans lequel on s’engouffre pour n’en ressortir qu’au bout des trois saisons, non sans peine, en avançant à l’aveugle comme Thésée guidé par le fil d’Ariane… car si tout semble avoir été pensé jusqu’au moindre détail, cette complexité est à double tranchant : en multipliant les pistes et les dimensions, elle déstabilise et nous pousse dans nos derniers retranchements, il faut sans cesse s’interroger pour éviter de s’égarer.

Au risque de perdre certains spectateurs, ce labyrinthe temporel reste la principale force du programme ; une fois qu’on a trouvé le fonctionnement de chaque engrenages, sa qualité scénaristique saute aux yeux.

« Dark » joue adroitement avec les archétypes dramatiques : protagonistes infortunés ou téméraires, amours inconcevables, impostures, trahisons… La série érige une manière atypique de traiter les conséquences de décisions qui semblent à priori anodines sur une petite communauté ; elle réunit une enquête ordinaire à une introspection mentale, le tout dans un ensemble constamment touché par des phénomènes paranormaux.

À ce titre, se dévoile une galerie de personnages d’une grande crédibilité ; dans cette petite bourgade perdue au milieu des bois et dominée par une inquiétante centrale nucléaire, chaque habitant cache ses petits secrets et semble relié les uns aux autres par un passé trouble qui se répercute sur le présent et l’avenir. Néanmoins, le fait de traiter ces personnes à des temporalités différentes, bien qu’utile à la bonne compréhension, en rajoute une couche à la complexité de l’ensemble.

Des héros portés à l’écran avec grâce par un casting réussi et cohérant lorsqu’il s’agit de versions rajeunies ou vieillies. Il faut souligner les superbes prestations d’Oliver Masucci, de Julika Jenkins et surtout celles des jeunes acteurs, en particulier Louis Hofmann (déjà convaincant dans « Les Oubliés ») qui impressionne par son assurance.

La mise en scène n’est pas en reste avec des plans d’une grande maîtrise dont un éblouissant plan-séquence dans un double living, où se croisent les membres d’une famille au petit-déjeuner. « Dark » se dote d’une esthétique sobre et efficace, bien aidée par la photographie clair-obscur qui vient sublimer une froideur semblable aux cinéma scandinave. Les protagonistes évoluent dans une ambiance sombre et brumeuse, un univers crépusculaire, oppressant, écrasé sous un ciel gris et noyé par des pluies torrentielles, ce qui installe un certain désespoir au récit.

Une atmosphère qui n’est pas sans rappeler « Twin Peaks » et plus particulièrement tout le travail de David Lynch dont on ressent toute l’influence par son côté conceptuel et symbolique. En plus de l’imperméable jaune de Jonas qui renvoi immédiatement à « Ça », la série évoque également l’œuvre de Stephen King dans sa globalité.

Enfin, comment ne pas souligner le sublime générique : ces images mouvantes qui se reflètent à la manière d’un kaléidoscope, comme pour laisser percevoir toute l’ambigüité du récit à venir, le tout sur la musique envoutante « Goodbye » du DJ allemand Apparat (en duo avec Soap & Skin). La bande-originale composée par Ben Frost vient magnifier l’intrigue malgré une présence parfois dispensable.

Avec un scénario aussi complexe que cohérant, une mise en scène impeccable et des acteurs convaincants, « Dark » est un puzzle dont chaque pièces trouvent leurs places et s’imbriquent dans une mécanique très bien huilée. Malgré quelques zones d’ombres qui pourrait en rebuter certains, il est aisé de passer outre pour se laisser emporter par cette fable énigmatique qui ne peut laisser personne indifférent.

Parsemée d’innombrables qualités, « Dark » se nourrit de ses influences pour construire en parallèle sa propre identité. Un thriller paranormal fascinant, remplit d’énigmes, de mystères et de suspense. Une œuvre bien sentie sur la relativité du temps qui a su séduire son public et s’inscrit parmi les meilleures productions de Netflix, démontrant encore une fois tout le savoir-faire allemand. 

« La question n’est pas où, qui, ou comment, mais quand.… »

Note : 8,5/10

Damien Monami – Le 11 août 2020

Sources Photos : 

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