Une femme sort de l’ombre

La Daronne

Parmi les premières victimes du  Covid 19, le film de Jean-Paul Salomé (Arsène Lupin, Les Femmes de l’ombre)  devait sortir en salles le 25 mars 2020. L’envie était grande de retrouver Isabelle Huppert souvent caricaturée pour sa raideur et son classicisme, dans un rôle aux antipodes de sa zone de confort habituelle. La comédie de Jean-Paul Salomé s’articule autour d’un trafic de drogue et mélange habilement les genres ; le policier et  l’humour.

Vous laisserez-vous entraîner dans cette tragicomédie insolente et rythmée emmenée par une Isabelle Huppert  loin de son image de « la dentellière » ? Notre avis sans lever le voile !

Synopsis :

Patience Portefeux est interprète judiciaire franco-arabe, en charge des traductions des écoutes téléphoniques réalisées pour le compte de la brigade des Stups. Lors d’une enquête, elle découvre que l’un des trafiquants n’est autre que le fils de l’infirmière dévouée qui s’occupe de sa mère. Patience décide de le protéger et se retrouve à la tête d’une cargaison de cannabis qu’elle décide d’écouler pour soulager ses dettes. Cette nouvelle venue dans le milieu est surnommée par les policiers “La Daronne”. La « galérance » elle est finie, bonjour la double vie !

Pour ceux qui l’ignorent, « la daronne » est un terme argotique inscrit au dictionnaire, signifiant : la mère ou l’épouse du daron : le père.

Alors que nous critiquions récemment le choix de conserver le titre éponyme d’un roman ; ici le titre aurait tout pour attiser la curiosité du spectateur potentiel. Hannelore Cayre, qui cosigne le scénario dit s’être inspirée de son expérience d’avocate pénaliste pour imaginer cette tragicomédie quelque peu farfelue. Son roman fut récompensé en 2017 du Prix du polar européen et du Grand prix de la littérature policière.

Respectueux du roman, Jean-Paul Salomé équilibre admirablement thriller urbain et comédie de situation, en donnant beaucoup de rythme et de cohérence à la première partie de son film. Puis lorsque Patience devient « la daronne », on est bluffé par Isabelle Huppert en djellaba stylée et foulard bigarré déambulant dans les travées des Galeries Lafayette et  sur les trottoirs de Barbès. Elle semble avoir pris un plaisir particulier à interpréter cette dealeuse roublarde. Elle donne une telle épaisseur à ce personnage maniant l’arabe avec une belle virtuosité et emporte le film au-dessus de la moyenne des comédies françaises.

Le réalisateur aborde avec tendresse la fin de vie des aînés ; la mère de Patience (Liliane Rovère) est en maison médicalisée mais aussi le racisme au quotidien et les difficultés à être une femme seule. C’est aussi une histoire de solidarité féminine car c’est avec le soutien de l’infirmière arabe de sa mère (Farida Ouchani) et de sa propriétaire chinoise (une surprenante Jade-Nadja Nguyen) que la Daronne organise son lucratif trafic au grand dam de son amant et chef de service, le soupçonneux Hyppolite Girardot (« Le bon plaisir » ; et les séries : « Le bureau des légendes » ; « Grand Hôtel »).

Cette comédie multiculturelle bien orchestrée est menée par une comédienne à la fantaisie insoupçonnée qui illumine cette histoire un brin loufoque de son immense talent. Sans jamais tomber dans la caricature, Jean-Paul Salomé et Isabelle Huppert ont fait de « La Daronne » un personnage dont on se souvient et de « la galérance, elle est finie ! » une expression culte !

Note : 7/10

Yves Legrand – Le 16 septembre 2020

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