Quand Jésus rencontre les frères Coen

The Big Lebowski

Véritable ode à la cool attitude, le septième film des frères Coen porté par celui qui se fait appeler le Dude (le Duc en VF) est désormais considéré comme un film culte. Pourtant ce n’était pas gagné d’avance, à sa sortie en salle, « The Big Lebowski » ne connaît qu’un succès modéré malgré les bons antécédents de ses réalisateurs, auréolé d’une Palme d’or et d’un Oscar du « meilleur scénario original » pour « Fargo » deux ans plus tôt.

Pour obtenir ses lettres de noblesse et être élevé au rang de film culte, il lui faudra attendre sa sortie en vidéo quelques mois après avoir écumé les salles obscures. Par son état d’esprit, le Dude est même devenu une figure christique, une organisation religieuse ayant pour précepte l’état d’esprit toujours zen du Dude a vu le jour et en fait une sorte de Jésus des temps modernes.

Entre parties de bowling, cocktails « White Russian », cassettes des Creedence et autre plaisir simple, « The Big Lebowski » et ses acteurs au top de leur forme fait partie de ces films qu’on prend toujours le même plaisir à visionner.

Retour en toute détente sur ce phénomène, sorte d’hymne à la paresse et à la fainéantise.

Synopsis :

Jeff Lebowski, surnommé le Duc, est un paresseux qui passe son temps à boire des coups avec son copain Walter et à jouer au bowling, jeu dont il est fanatique. Un jour deux malfrats le passent à tabac. Il semblerait qu’un certain Jackie Treehorn veuille récupérer une somme d’argent que lui doit la femme de Jeff. Seulement Lebowski n’est pas marié. C’est une méprise, le Lebowski recherché est un millionnaire de Pasadena. Le Duc part alors en quête d’un dédommagement auprès de son richissime homonyme…

Film noir à la sauce Coen, « The Big Lebowski » a le même postulat de départ que « Le grand sommeil » (1946) d’Howard Hawks ou « La mort aux trousses » (1959) du maître Hitchcock. C’est à dire celui d’un monsieur tout le monde qui se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment, entraîné dans une histoire à laquelle il ne comprend rien, le côté burlesque en plus.

Le burlesque s’exprime ici par la façon dont les personnages vont appréhender les événements qui se présentent à eux avec tout le détachement qui ne s’impose pas. Leur mode de vie étant à l’opposé de ceux-ci, ils vont être indisposés face à la noirceur et la complexité de l’intrigue dont ils sont l’objet. Jeff Lebowski est un homme qui préfère se tenir à l’écart de la moindre parcelle de la société à laquelle il appartient.

Ancien hippie contestataire dans les 70’s, le Dude décide, face à son échec, de se foutre littéralement de tout : en témoigne une entrée en scène d’anthologie dans laquelle il se pavane en peignoir dans les rayons d’un supermarché à la recherche du lait qui lui sert à concocter ses délicieux cocktails, qu’il paye par chèque tout en regardant avec le plus grand détachement un discours de Georges Bush sur la guerre du Golfe dans laquelle son pays est empêtré.

C’est dans cette opposition entre la gravité toute relative des événements auquel doit faire face notre héros et la nonchalance qui le caractérise que réside l’âme du film. Ce décalage est l’essence même du cinéma des frères Coen, c’est cette pléiade d’anti-héros qu’ils mettent face à des situations qui ne leur ressemblent pas qui amène à leurs films cet humour corrosif que les cinéphiles apprécient tant.

En soi, le Dude et les énergumènes qui transitent autour de lui sont un parfait condensé de l’univers des frangins réalisateurs. Mais ces personnages atypiques ne seraient rien sans le talent d’interprétation des acteurs qui les incarnent.

Jeff Bridges fait étalage de tout son savoir-faire en faisant de Jeff Lebowski un personnage charismatique malgré le sens qu’il donne à son existence, en lui apportant un physique aussi massif que détendu.

Il est secondé par John Goodman, dans le rôle du copain vétéran du Vietnam que rien n’arrête dans la folie. L’acteur pousse son personnage dans tous les extrêmes, il est excessif et participe en grande partie à l’humour du film.

L’autre ami du Dude (Steve Buscemi), représente le garçon frêle et gentil, écrasé par la personnalité des deux autres. À n’en pas douter, les frères Coen ont fait le choix de Buscemi pour le décalage et le contraste physique qu’il crée avec ses deux compères. Sa voix aigrelette s’oppose également à la voix douce de Jeff Bridges et au baryton de John Goodman. À eux trois, ils forment un trio improbable de ratés qui loupent tout, en croyant parfois bien faire.

Il ne faut pas non plus oublier le reste du casting, tant les seconds rôles tirent leur épingle du jeu et participent à l’atmosphère subversive de l’œuvre. John Turturro est hallucinant en joueur de bowling, dans son lycra violet, il fait mouche à chacune de ses brèves apparitions avec deux scènes incroyablement drôles tandis que Juliane Moore surprend avec son rôle de peintre excentrique et déjantée.

On peut voir dans cette galerie de personnages plus décalés les uns que les autres et dans les évènements qui se déroulent devant nos yeux une sorte de critique de la société aseptisée dans laquelle nous vivons et une vraie ode à l’épicurisme. À l’heure où tout est rationalisé, les grandes entreprises toujours plus grandes, les grands leaders toujours plus influents et vénérés, le Dude et ses comparses viennent imposer un style on ne peut plus opposé à tout ce système. « The Big Lebowski » n’hésite pas à tourner en ridicule une société dans laquelle tout est devenu très conventionnel et dénaturé.

Si le déroulement de l’intrigue et l’ambiance générale qui règne autour du film a un côté quelque peu désespéré, il n’est pas pessimiste pour autant. Les frères Coen ont ici utilisé une réalisation haute en couleurs où la subversion est omniprésente, que ce soit à travers les crises de colère de Walter, le fait que le Dude s’en va en short et en sandales dans le grand palace de son homonyme. Les personnages sont comme ils sont, et si la société ne veut pas d’eux, ils ne veulent rien de la société non plus.

L’histoire est rocambolesque, et les personnages tous inoubliables et exubérants. En globalité, rien n’est normal dans ce film, et c’est aussi cela qui l’a rendu si populaire, puisqu’on se sert ici d’un héros des plus banals pour l’embarquer dans une histoire dingue, voire onirique.

« The Big Lebowsky », comme la plupart des longs métrages signés Joel et Ethan Coen, est un OFNI dans le cinéma moderne, mêlant humour, trouvailles techniques ou points de vue audacieux, tout en nous entraînant dans un univers original, aspirant et inspirant.  

Mais ce qui rend ce film si mythique, c’est son côté subversif ainsi que le message subliminal qui s’en dégage. Il peut sonner comme une critique de la société moderne où le politiquement correct et la bien-pensance ont pris le pas sur l’authenticité qu’incarne son personnage principal.

Le Dude se fout royalement d’être en décalage avec le reste du monde, tout ce qui lui importe c’est qu’on le laisse vivre comme bon lui semble. Au fond, c’est ce à quoi chacun inspire au fond de lui et c’est ce qui en fait un personnage si attachant.

C’est pour toutes ces raisons que « The Big Lebowski » est désormais considéré, à juste titre, comme une œuvre culte. Un film parfait pour une soirée cinéma en toute détente.

The Dude abides !

Note : 8/10

Damien Monami– Le 21 mai 2019

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