Critique de « Green Book » (2019) – Road movie au pays de la ségrégation
Habitué aux comédies potaches co-réalisées avec son frère Bobby, Peter Farrelly sort de sa zone de confort avec Green Book, un film biographique.
Un film qui laisse Bush(bée)
La satire politique est un genre difficile d’accès, beaucoup de cinéastes s’y sont essayés mais peu ont réussi à en sortir une œuvre déboussolante. Parmi eux, on peut citer dernièrement George Clooney et son film « Les Marches du Pouvoir » avec Ryan Gosling, ou encore « Silvio et les autres » le dernier long métrage de Paolo Sorrentino centré sur Berlusconi. Une tâche toujours difficile à exécuter.
Et pourtant voici qu’Adam Mckay revient avec « Vice », trois ans après « The Big Short », un brûlot politique sur l’ancien vice-président Dick Cheney. Une véritable arme à Oscars (huit nominations) tenue par un casting cinq étoiles dont Christian Bale, une nouvelle fois totalement métamorphosé pour le rôle, la toujours brillante Amy Adams, l’acteur fétiche du cinéaste Steve Carell et le récemment oscarisé Sam Rockwell.
Un film qui tire à boulets rouges sur l’administration Bush, la politique américaine et Dick Cheney lui-même. Une œuvre qui ne laissera aucun spectateur indemne devant tant de manipulations et de scandales.
Préparez-vous à plonger dans un film terrifiant…
Synopsis :
Parti de rien, Dick Cheney a réussi à s’imposer dans les arcanes du pouvoir. Devenu vice-président de George W. Bush, il a tiré les ficelles dans l’ombre et imposé sa loi au monde entier au point de bouleverser l’ordre établi de manière durable…
Avec « Vice », Adam McKay peut être vu comme le digne successeur d’Oliver Stone voire d’Alan Moore. Certes, le cinéaste a toujours injecté une connotation politique dans ses films, notamment dans ses comédies potaches avec son ami Will Ferrell (ici à la production avec Brad Pitt), mais le réalisateur du brillant « The Big Short » ne se contente pas de narrer un simple biopic factuel avec quelques ressorts comiques. Au contraire, il dépeint ici tout un système institutionnel et politique gangréné par la corruption et les luttes de pouvoirs.
« Vice » n’est pas une simple biographie classique, McKay va utiliser son humour grinçant et cynique pour démontrer, à travers la personnalité de Cheney, que la politique américaine est une vaste supercherie.
« Vice » est un film qui va se servir de son sujet pour creuser plus profondément et explorer les arcanes de l’histoire de « la plus grande nation du monde » sur plusieurs décennies.
Le cinéaste va utiliser tous les artifices à sa disposition pour offrir un film ludique mais incroyablement terrifiant : narration virevoltante, caméra mobile, flashbacks et voix-off ironique évoquent notamment les fresques criminelles de Jordan Belfort dans « Le Loup de Wall Street » de Scorsese.
C’est clairement au cinéma d’Oliver Stone que le cinéaste s’identifie thématiquement ou formellement. McKay comme Stone s’amuse à superposer des images issues de diverses sources et formats (actualités, reportages, discours, images d’archives) dans un montage percutant et énergique (qui risque pourtant de ne pas plaire à tout le monde) pour dénoncer une vaste conspiration au cœur de l’appareil d’état qui a plongé la société américaine dans la guerre et la crise permanente. Le long métrage brise également sans vergogne le quatrième mur en s’adressant directement à la caméra et détruit parfois la réalité sans prévenir en basculant dans l’absurde le plus total.
« Vice » s’inscrit dans la continuité d’œuvres comme « JFK », « Nixon » et « W » poursuivant l’écriture d’une histoire secrète de l’Amérique. McKay emploie la comédie comme vecteur du message politique là où Stone employait celui du thriller.
Le long métrage est la parfaite illustration du concept philosophique de la « banalité du mal », c’est-à-dire que le mal ne réside pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves.
Cheney et ses sbires en sont les exemples parfaits, avec leurs prises de décisions administratives quotidiennes en apparence. Des routines par lesquelles les décisionnaires mettent en suspens leurs convictions morales et renoncent à l’examen des conséquences de leurs actions.
Dick Cheney est celui qui a pour ainsi dire légitimé la torture. C’est lui qui a engagé son pays dans une guerre meurtrière en Irak et ainsi favorisé la naissance des groupuscules terroristes qui, moins de 10 ans plus tard, se feraient connaître au fil de multiples attentats meurtriers. Un homme qui prône les exécutions et les enlèvements. Un personnage aux débuts modestes, perdu dans un coin paumé des Etats-Unis, qui s’est peu à peu transformé en politicien déterminé, malin, roublard et impitoyable. Dick Cheney a révolutionné pour le pire la politique américaine, ouvrant la voie à toutes les dérives (cf : Donald Trump).
Le film revient par exemple sur la naissance de l’État Islamique où la façon dont a été volontairement négligé la crise climatique, Adam McKay décrit aussi les conséquences contemporaines des actions de son personnage principal et de sa bande (au détour d’images d’actualités on voit apparaître l’actuel vice-président Mike Pence ou l’ex ministre de la justice de Trump, Jeff Sessions, montrant que les acteurs des crises actuelles étaient déjà actifs à l’époque) et interpelle son spectateur sur ce qu’il adviendra du futur avec de telles personnes au pouvoir.
« Vice » dévoile tout, l’opportunisme des menteurs (Cheney, Rumsfeld), les soumissions des pantins et des faibles (Bush, Powell), la défaite des forts (Al Gore). McKay n’épargne personne grâce à un superbe travail de documentation, en plus d’être un effort absolument terrifiant. Le film déballe tout sous les yeux d’un spectateur abasourdi et au bord de l’indigestion devant tant d’informations presque surréalistes. Et malheureusement pour lui, tout est bien réel car basé sur des faits étayés par des argumentaires et, raconté avec cohérence et clarté.
Pour camper cet homme puissant, Christian Bale se donne corps et âme à son personnage. Il est littéralement Dick Cheney. Il ne faut pourtant pas résumer sa prestation d’acteur à sa spectaculaire prise de poids, Bale a bien étudié son sujet et offre une interprétation incroyable. Grâce aux subtiles nuances dans son regard, qui laissent tantôt deviner les (rares) éclats d’humanité de son personnage mais aussi cette pulsion sombre qui semble l’habiter depuis toujours. Loin du cabotinage, c’est dans ces scènes de non-dits et silencieuses qu’il est à son meilleur. Il y a enfin ce qui ne se joue pas et reste l’apanage des plus grands : le charisme. Il émane de l’interprète de Batman une telle densité qu’il écrase tous les autres personnages autour de lui. Bale fait de son Dick Cheney un personnage indéchiffrable, qui semble toujours en train de calculer son prochain coup ou d’échafauder quelque plan qui échappe même à ses proches.
À ses côtés, Amy Adams prouve une fois encore qu’elle est une des plus grandes actrices de sa génération. Tantôt linguiste chez Denis Villeneuve dans « Premier Contact » et journaliste engagée chez Zack Snyder dans « Man of Steel », l’actrice incarne ici Lynne Cheney, sorte de Lady Macbeth des temps modernes. À la fois calculatrice, conservatrice et brillante, elle pousse son mari vers les hautes sphères qu’elle ambitionnait.
Après son Oscar pour « Three Billboards », Sam Rockwell est une nouvelle fois très convaincant en George. W. Bush Jr et Steve Carell exploite tout autant ses talents comiques que dramatiques dans le rôle de Donald Rumsfeld. L’acteur cabotine un peu dans sa caricature du mentor de Cheney en politique mais il parvient à faire émerger un peu d’humanité chez ce personnage, qui est comme la plupart des protagonistes de « Vice », est une authentique ordure.
Difficile d’aimer un film qui ne prend pas de gants pour décrédibiliser la politique américaine et son fonctionnement, un long métrage ludique et solide qui ne plaira pourtant pas à tout le monde. Il éclaire le côté obscur du fameux rêve américain. Il se focalise sur un personnage avide qui va ronger l’institution américaine de l’intérieur pour son profit et celui d’un énorme lobby.
La stupidité des uns servant les objectifs des autres. Avec son aspect parfois proche du documentaire, « Vice » fait très mal. Il laisse pantois devant tant de cynisme. Il interroge sur le futur que ces apprentis-sorciers nous ont laissé et il dérange tous les amis de la démocratie.
Avec « Vice », Adam McKay signe une satire monstrueuse et effrayante des hautes sphères de la plus puissante nation du monde. Un long métrage soutenu par la performance totalement « oscarisable » de Christian Bale en Dick Cheney, portrait virulent de la banalité du mal. Une œuvre qui fait froid dans le dos et qui ne laisse personne indemne.
Note : 8/10
Julien Legrand – Le 5 mars 2019
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