Le revers de la justice

Désigné coupable 

Dix ans après sa révélation dans « Un prophète », Tahar Rahim retrouve la case prison dans des conditions sensiblement différentes avec le nouveau film de Kevin McDonald « Désigné coupable ». Il s’agit d’une adaptation des mémoires intitulées « Les carnets de Guantánamo » de Mohamedou Ould Slahi, un mauritanien qui fut détenu à Guantánamo durant plus de 14 ans sans aucune forme de procès.

Un drame poignant et engagé qui peut compter sur un casting de choix dont la trop peu présente Jodie Foster, le toujours excellent Benedict Cumberbatch et la talentueuse Shailene Woodley dans les rôles principaux. « The Mauritanian » en VO plonge le spectateur dans les limbes d’un système judiciaire américain injustes et défectueux.

Après l’excellent documentaire « Marley », que vaut le nouveau long-métrage du réalisateur écossais ? Éléments de réponses.

Critique « Désigné Coupable » (2021) : Le revers de la justice. - ScreenTune
© 2021 - STX Films

Synopsis :

L’histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien que son pays a livré aux Etats-Unis alors en pleine paranoïa terroriste à la suite des attentats du 11 septembre 2001. L’homme a passé des années en prison sans inculpation ni jugement. Il a retrouvé la liberté en octobre 2016.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué à jamais le peuple américain, un traumatisme dont le cinéma a souvent été le porte-parole. On pense notamment au « World Trade Center » d’Oliver Stone qui rendait hommage aux différents acteurs de la catastrophe mais la plupart du temps, nous avons eu droit à des œuvres traitant de façon très manichéenne, l’héroïsme et la grandeur de la lutte face à la menace terroriste.

Kevin McDonald prend le contre-pied de cette vision américano-centrée de la traque d’Al-Quaida en focalisant son récit sur un personnage principal musulman qui doit faire face à une islamophobie farouche associée à une paranoïa débordante.

Or, puisqu’il représente le coupable idéal, Mohamedou Ould Slahi, jeune musulman originaire de Mauritanie, supposé avoir des liens avec Al-Quaïda, n’attire de prime abord pas vraiment la sympathie du public.

Critique « Désigné Coupable » (2021) : Le revers de la justice. - ScreenTune
Photo by Graham Bartholomew © 2021 - STX Films

Cependant en optant pour une mise scène en immersion totale avec le suspect et ce qu’il peut ressentir lors des nombreux sévices, aussi bien physiques que psychologiques, qu’il subit, le cinéaste fait naître une profonde empathie envers son personnage et cela avant même d’essayer de le persuader de son innocence. Cette façon de faire dénote avec le traitement habituel du sujet car il nous confronte à notre propre jugement, à nos propres valeurs.

Comme d’autres films l’ont fait avant lui, « Désigné coupable » montre de façon brutale la souffrance et la cruauté dont peuvent être victime les détenus, surtout dans un quartier de haute sécurité tel que Guantánamo. Au carrefour de plusieurs genres, l’œuvre portée par Tahar Rahim nous met en porte-à-faux avec les valeurs de liberté qu’inspirent les États-Unis ; grâce à une mise en scène anxiogène, il fait prendre conscience du simulacre de justice qui se joue devant nos yeux (plus tellement) ébahis.

Critique « Désigné Coupable » (2021) : Le revers de la justice. - ScreenTune
Photo by Graham Bartholomew © 2021 - STX Films

Nous faisons face à un véritable paradoxe entre le droit à un procès équitable que prône la constitution américaine et son application dans les faits. Le film prend des allures de pamphlet contre ces États-Unis qui profitent d’une zone en dehors de la juridiction américaine pour bafouer ce droit fondamental, et pourquoi ? Simplement parce qu’il faut faire payer quelqu’un pour tous les autres, peu importe qu’il soit coupable ou pas.

La réussite du long-métrage doit également pour beaucoup à la qualité de son casting, à commencer par un époustouflant Tahar Rahim. L’acteur français, dont c’est la seconde collaboration avec Kevin McDonald, donne la pleine mesure de son talent Il réussit à retranscrire toute l’ambiguïté de ce personnage à la fois jovial et tourmenté qui garde une foi inébranlable en l’humanité malgré l’enfer qu’il vit, ce qui rajoute à notre empathie.

Une performance magistrale dans la lignée d’un Sean Penn dans « La Dernière Marche » ou d’un Daniel Day-Lewis dans « Au nom du père », qui aurait sans doute mérité une nomination aux Oscars.

Critique « Désigné Coupable » (2021) : Le revers de la justice. - ScreenTune
Photo by Graham Bartholomew © 2021 - STX Films

Pour le soutenir dans ce rôle, il peut compter sur une Jodie Foster impériale dans la peau de l’avocate Nancy Hollander ; on ne peut que déplorer de la voir si peu dans nos écrans. A ses côtés Shailene Woodley campe sa jeune assistante Teri Duncan et amène une touche de légèreté bienvenue. Quant à Benedict Cumberbatch, il se montre fidèle à sa réputation bien qu’il soit un peu effacer dans son rôle du lieutenant Stuart Couch dont les convictions sont mises à rude épreuve.

Si on excepte son titre français un brin  trop évocateur, « The Mauritanian » est une vraie réussite, il bouleverse autant qu’il interroge sur les failles de la justice et sur la paranoïa qu’a longtemps inspirée le monde arabe au pays de l’oncle Sam tout en démantelant les stéréotypes sur les musulmans véhiculés depuis des décennies par Hollywood.

La mise en scène inspirée de Kevin Macdonald et surtout le casting parfait du film en font un véritable film coup de poing qui livre en parallèle une critique accablante sur les conditions de détention inhumaines qui semblent être monnaie courante au sein du célèbre et controversé pénitencier.

Au décompte « Désigné coupable » s’avère une belle surprise, un manifeste pour les libertés fondamentales particulièrement d’actualité qui, grâce à un curieux mélange entre la cruauté de le situation et l’humanité dégagée par les principaux protagonistes, parvient à tirer son épingle du jeu.

Note : 8/10

Damien Monami – Le 1er mai 2021

Sources Photos :

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