Quand Pitt et Cruise ont les crocs !

Entretien avec un Vampire

En 1994, deux ans après avoir décroché l’Oscar du meilleur scénario pour « The Crying Game », l’Irlandais Neil Jordan décide de transposer à l’écran le célèbre roman « Entretien avec un vampire » d’Anne Rice publié en 1976.

Une histoire de Vampire comme on en voit très rarement. Sorti deux ans après le romantique et très réussi « Dracula » de Francis Ford Coppola, « Entretien avec un vampire » revisite avec mélancolie et romantisme le mythe des suceurs de sang.

Portée par les deux beaux gosses talentueux d’Hollywood à l’époque, Brad Pitt et Tom Cruise, cette adaptation du roman d’Anne Rice, également au scénario, fut un gros succès à sa sortie avec plus de 229 millions de dollars de recettes pour un budget de 60 millions.

Retour sur un film devenu culte.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros

Synopsis :

A San Francisco, dans les années 1990, Daniel Malloy, un jeune journaliste, réalise l’interview incroyable de Louis, un vampire vieux de deux siècles. Pendant toute la nuit, Malloy écoute avec attention Louis raconter sa vie. En 1791, à La Nouvelle-Orléans, il songe au suicide après la mort de sa femme et de son enfant. C’est alors qu’il rencontre Lestat, un vampire qui le transforme en créature de la nuit.

  • Un projet délicat :

« Entretien avec un vampire » sonnait comme une arlésienne entre les mains des producteurs d’Hollywood, pendant plus de dix-sept ans, cette idée d’adaptation est passée de main en main auprès des grands noms du showbiz de l’époque. De Richard Gere à Cher en passant par John Travolta et Daniel Day-Lewis le scénario des « Chroniques du vampire » ne trouvait jamais preneur. Jusqu’au jour où du sang neuf fit son apparition par l’intermédiaire d’un cinéaste irlandais.

Tout juste auréolé de son Oscar, Neil Jordan décide de se lancer dans une aventure délicate, transposer à l’écran le célèbre roman d’Anne Rice. Pour ce faire, il contacte directement l’auteur et lui expose son projet. Après moult réécritures pour garder l’essence même du roman, Neil Jordan toujours insatisfait, décide finalement de faire appel à Anne Rice elle-même pour le scénario de cette adaptation.

Photo by Francois Duhamel/Sygma via Getty Images
  • Un casting qui a du goût :

Le projet était déjà difficile mais se compliquait encore avec le casting, d’abord River Phoenix qui devait au départ jouer le journaliste Daniel Malloy. Malheureusement le jeune acteur de « Stand By me » et « Mosquito Coast » est décédé peu de temps avant le début du tournage. Le film lui est d’ailleurs dédié.

Pour le remplacer, l’équipe multiplie les entrevues, notamment avec Leonardo DiCaprio ainsi que Stephen Dorff, pour finalement jeté son dévolu sur Christian Slater. L’acteur de « True Romance » a d’ailleurs fait don de son cachet à l’œuvre de charité à laquelle contribuait River Phoenix.

Après ce premier accro, Anne Rice et Neil Jordan choisisse ensuite la jeune Kristen Dunst pour interpréter l’innocente Claudia, la future actrice de la trilogie « Spider-Man » de Sam Raimi fut préférée à Christina Ricci qui venait de cartonner avec « La Famille Addams » en 1991, Dominique Swain, Julia Stiles, Erin Moore ou encore Evan Rachel Wood.

Il reste maintenant à l’équipe de production à trouver les deux têtes d’affiches, Anne Rice avait écrit le rôle du terrible et noble Lestat en pensant à l’acteur hollandais Rutger Hauer (« Blade Runner » et « Turkish Delices ») mais que vingt ans se sont écoulés depuis l’écriture du roman. Malheureusement pour elle, Neil Jordan et les producteurs jettent leur dévolu sur le beau Tom Cruise qui enchaine alors les succès alors que bon nombre de comédiens comme Johnny Depp, Jeremy Irons, John Malkovich, Peter Weller, Alexander Godunov, et Daniel Day-Lewis s’étaient vu proposer le rôle. Même Brad Pitt, qui incarne finalement le beau et torturé Louis, était pressenti plutôt que la star de « Top Gun ».

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros

L’auteur désapprouva avec véhémence cette décision et fut déçue que la production ne prenne pas en considération ses inquiétudes sur la prestation du comédien de « Né un 4 juillet » : « Quand l’annonce fut faite que Tom Cruise incarnerait Lestat, j’ai eu de profondes réserves et de sévères critiques. Tout comme nombre de mes lecteurs. J’en ai ouvertement parlé. Un rideau s’est alors tendu entre moi et la production du film, à raison. Personne n’aime être critiqué, et cela inclut les personnes travaillant dans le cinéma. »

Finalement après le tournage, Anne Rice changera d’avis après avoir assisté à une projection. « Je n’ai vu aucun rush, aucun extrait, je n’ai fait aucune projection test. Ce n’est que lorsque David Geffen a pris le risque de m’envoyer une copie VHS du film que j’ai pu le voir. Et j’ai approché cette VHS avec une peur profonde d’être déçue, blessée, anéantie par le travail final. […] J’ai trouvé Entretien avec un vampire exceptionnel. […] Dès sa première apparition, Tom était Lestat pour moi. Il avait cette immense présence physique et morale, […]. Il était sublime au-delà de toute description, même si enclin à accomplir des choses cruelles. La beauté de Tom était incroyable ; son jeu polissé, sa capacité à plonger dans l’âme de Lestat et à comprendre sa personnalité […] étaient absolument exaltantes. […] Je ne suis pas douée dans la modestie. J’aime à croire que le personnage de Lestat joué par Tom restera dans les mémoires, tout comme on se souvient de la performance de Laurence Olivier dans Hamlet ».

Elle est tellement satisfaite de la performance du comédien qu’elle lui écrira une lettre d’excuses.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros
  • Un conte baroque et romantique :

Alors que Tony Scott avait tenté sans succès d’adapter l’œuvre d’Anne Rice en 1983, Neil Jordan réussit à nous offrir une œuvre qui oscille entre quête existentielle de l’âme tourmentée de Louis et un drame psychologique où s’entremêlent le rapport à la religion, la notion de culpabilité au sens catholique, la trinité familiale, la relation homosexuelle, la frustration sexuelle… Le cinéaste transpose avec talent à l’écran l’essence du roman dans un récit picaresque à travers les siècles. Il brasse habilement toutes les thématiques présentes dans le roman et nous les distille en un sous-texte extrêmement subversif.

Le metteur en scène s’efface complétement derrière son sujet tout en coordonnant de main de maître tous les aspects de son projet. Des décors tout simplement somptueux et un rien tape à l’œil jusque dans le travail technique et artistiques du maquillages (le travail d’orfèvre de Stan Winstone !). Il faut aussi souligner la beauté de la photo de Philippe Rousselot, des costumes de Sandy Powell et des décors de Malcolm Middleton. « Entretien avec un vampire » reste encore aujourd’hui le film le plus transgressif sur les vampires.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros

« Entretien avec un vampire » n’est ni un grand classique de la trempe de « Nosferatu le vampire », ni un grand film de studio comme le « Dracula » de Coppola, cependant il possède ce charme et cette élégance à revisiter le mythe du buveur de sang à travers son caractère immuable. Le vampire en tant qu’immortel doit s’adapter au monde en constante évolution où disparaître à jamais. Ce sont ces éléments que Anne Rice décortique dans son œuvre à travers la relation tumultueuse qui unit Lestat et Louis.  L’enjeu principal est donc de savoir si le vampire est condamné à être damné, véritable relique d’un passé de légendes et de superstitions, le buveur de sang de Rice est une créature condamnée à l’oubli par la modernité d’un monde en perpétuel changement et voué la solitude éternelle.

L’œuvre de Jordan se prend donc très au sérieux et n’évite pas quelques simplifications, notamment dans l’opposition entre le bien et le mal. Le scénario est pourtant plus subtil qu’il n’y paraît bien sûr mais plusieurs longueurs pourraient empêcher le spectateur de se plonger pleinement dans un film de plus de 140 minutes.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros
  • Des acteurs aux dents longues :

Le cœur et l’enjeu principal d’« Entretien avec un vampire » est cette relation quasi homosexuelle entre nos deux bellâtres, Brad Pitt (Louis) et Tom Cruise (Lestat) qui formeront ensuite une petite famille avec l’arrivée de Claudia (Kirsten Dunst).

Brad Pitt d’abord, qui n’est pas encore la star interplanétaire grâce à « Se7en » notamment mais qui joue ici à la fois celui que le narrateur, modeste journaliste (Christian Slater qui joue dans tout à l’époque), fantasme ; et celui qui fait de même avec Lestat (Tom Cruise), son mentor et souverain éternel. Une interprétation toute en sensibilité et sensualité qui l’installe définitivement comme un acteur à suivre dans le futur. Avec sa relation ambiguë avec la petite Claudia reste fascinante de bout en bout.

Incarnée par Kirsten Dunst qui n’a à l’époque que dix ans, cette dernière est peut-être le personnage central du film. L’actrice signe une prestation d’une exceptionnelle justesse dans le rôle de cet enfant transformée en vampire, prisonnière à jamais d’un corps de petite fille. Un rôle plein de contradictions lorsqu’elle se rend compte de la cruauté de sa situation immortelle, condamnée à garder éternellement l’apparence d’une enfant que mentalement elle n’est plus forte de l’expérience des siècles.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros

Enfin Tom Cruise, pourtant critiqué de toutes parts par les fans du roman et son auteur à l’époque, dans la peau du sadique et terrifiant Lestat. Il trouve tout simplement là un de ses meilleurs rôles et aura réussi à faire taire les plus sceptiques. Tom Cruise est l’incarnation du vampire élégant et sans pitié. Celui qui chasse les humains chaque nuit par plaisir et par cruauté. Un véritable prédateur dénué de sentiments qui se considère supérieur aux humains en se définissant comme le sommet de l’évolution. Lestat se situe dans un monde « au-delà du Bien et du Mal », comme dirait Nietzsche.

Tom Cruise signe une performance à contre-emploi surprenante, à la fois sombre, glaciale et attachante. L’acteur est tout simplement parfait en âme torturée destinée à vivre éternellement.

Critique « Entretien avec un Vampire » (1994) : Quand Pitt et Cruise ont les crocs !
© 1994 Warner Bros

Malgré quelques longueurs, « Entretien avec un vampire » n’a rien perdu de sa symbolique et reste un des meilleurs films sur les vampires depuis plus de 25 ans.

Une œuvre qui réinvente avec intelligence le mythe au cinéma. Un film élégant, classique, efficace porté par son charismatique duo d’acteurs. Un conte gothique intemporel à la beauté funèbre inégalable.

Une œuvre à découvrir ou redécouvrir avec un plaisir non-dissimulé pour sa poésie baroque et son romantisme noir. Glaçant et envoûtant !

Note : 7,5/10 

Julien Legrand – Le 13 février 2021

Sources Photos :

  • Copyright © 1994 Warner Bros

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