Guerre intérieure

Jojo Rabbit

Allier guerre et humour est une pratique récurrente dans l’histoire du cinéma et ce dès l’époque du muet avec « Charlot soldat », Chaplin qui, plus tard, se paya ouvertement la tête d’Hitler dans son sublime film « Le dictateur », sorti en plein cœur du conflit.  

L’inoubliable Stanley Kubrick ironisa quant à lui sur l’absurdité de la Guerre froide avec « Docteur Folamour » tandis que Quentin Tarantino livra sa propre interprétation de la Seconde Guerre Mondial avec « Inglorious Basterds » en 2008, ridiculisant au passage Hitler et les nazis. On aurait pu en citer une pléiade mais retenons tout de même « La grande vadrouille », « M.A.S.H. » ou plus récemment « Tonnerre sous les tropiques ».

Le film qui nous intéresse, bien qu’il se veuille drôle comme ses ainés, peut être vu comme un drame de par son scénario et le message qu’il délivre. Dans son approche, cette adaptation du roman à succès « Le Ciel en Cage » de Christine Leunens, se rapproche plus de films comme « Good Morning Vietnam » ou « La vie est belle » de Roberto Benigni.

Porté par Scarlett Johansson et Sam Rockwell, « Jojo Rabbit » se veut une fable poétique sur des événements tragiques. Reste à voir si le réalisateur néo-zélandais Taika Waititi a réussi son pari.

Synopsis :

Jojo est un petit allemand solitaire. Sa vision du monde est mise à l’épreuve quand il découvre que sa mère cache une jeune fille juive dans leur grenier. Avec la seule aide de son ami aussi grotesque qu’imaginaire, Adolf Hitler, Jojo va devoir faire face à son nationalisme aveugle.

En traitant des événements aussi sombres et tragiques de notre histoire par le prisme de l’humour, Taika Waititi, à qui l’on doit notamment « Thor : Ragnarok » prenait tout de même un risque. La réalité étant ce qu’elle fut, la satire doit être utilisée avec beaucoup de maîtrise et avec parcimonie afin d’éviter que le récit ne perde en crédibilité, le risque étant d’édulcorer un sujet relativement grave.

Le bémol étant qu’ici, durant la majeure partie du film, on ne ressent que très peu ce climat de guerre. Bien sûr, les décors et les costumes sont là pour nous le rappeler mais l’ambiance n’y est pas, les personnages, y compris les figurants ne semblent pas tendus et apeurés comme en temps de guerre.

Mais la vraie originalité de « Jojo Rabbit » réside dans sa vision enfantine du sujet, comment on perçoit de telles circonstances avec toute l’insouciance d’un garçon. On peut voir à quel point les plus jeunes, avec un esprit plutôt étroit et une personnalité pas encore affirmée, peuvent être facilement manipulés et endoctrinés par une idéologie telle que le nazisme.

Dans le regard du jeune gamin, Hitler apparait comme une sorte de père Noël, le côté magique qui va avec, voir comme une figure paternelle. Tandis que les jeunesses hitlériennes donnent l’impression d’être des camps scouts ou des colonies de vacance à l’américaine, cette partie du film ressemble à s’y méprendre à « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson.

En parlant de l’excentrique réalisateur du « Grand Budapest Hotel », on peut constater son influence chez Taika Waititi qui lui emprunte certains codes. Au niveau de l’esthétique déjà, il y a des similitudes avec des couleurs pastel et rétros ; les personnages eux sont burlesques, haut en couleurs même si dans le cas présent certains sont caricaturaux à l’excès (cf. les membres de la gestapo).

S’il subsiste une part de drame, celle-ci est quelque peu noyée dans la masse, il faut attendre la dernière partie du film pour vraiment ressentir le ressort dramatique du scénario. A ce titre, le jeune acteur Roman Griffin Davis s’en sort à bon compte avec son émotion toute en retenue et une sorte de charisme juvénile.

Dans le rôle du Hitler imaginaire, c’est Taika Waititi qui s’y colle en plus de la réalisation. Si la ressemblance avec le führer ne saute pas aux yeux, il se révèle plutôt convaincant lorsqu’il apparait à l’écran, livrant un personnage drôle et atypique. A leurs côtés, il n’y a rien à redire des prestations de Sam Rockwell et de Scarlett Johansson, même si cette dernière est trop effacée en tant que mère du jeune héros, la ressemblance entre les deux est par ailleurs assez troublante.

Si « Jojo Rabbit » a de quoi séduire par certains aspects, un scénario original auquel on ne s’attend pas forcément vu le sujet, une mise en scène assez réussie et un casting cohérent en font tout l’intérêt mais le film pêche à la finition. Le côté satirique fini par avoir du mal à trouver son second souffle, ce qui donne lieu à une conclusion un peu bancale et moins maîtrisée. La relation ambiguë entre le petit garçon et la juive aurait méritée d’être approfondie.

Dans l’ensemble, le résultat tire davantage vers le positif malgré quelques imperfections non négligeables.  Sans être un grand film, cette fresque humoristique sur la guerre reste un chouette divertissement pour toute la famille, chose rare avec cette thématique, ce qui est déjà une performance en soit.

Note : 7/10

Damien Monami – Le 10 février 2020

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