Itinéraire de deux vies qui comptent 

Tori et Lokita

Après « Falsch » (1987), « Je pense à vous » (1992) et « La promesse » (1996, leur première sélection à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs), tous les longs-métrages co-réalisés par « les frères » ont eu l’honneur d’être présentés en  compétition officielle sur la Croisette, décrochant au passage de multiples prix : « Rosetta » (1999, Palme d’Or et Prix d’interprétation pour Émilie Dequenne), « Le fils » (2002, Grand Prix d’interprétation pour Olivier Gourmet), « L’enfant » (2005, Palme d’Or), « Le silence de Lorna » (2008, Prix du scénario), « Le gamin au vélo » (2011, Grand Prix du jury), « Deux jours, une nuit » (2014), « La fille inconnue » (2016), « Le jeune Ahmed » (2019, Prix de la mise en scène)… Pour leur dixième sélection cannoise, avec « Tori et Lokita », ils viennent de remporter le Prix du 75e anniversaire…

Critique « Tori et Lokita » (2022) : Itinéraire de deux vies qui comptent - ScreenTune
© 2022 Cinéart

Synopsis :
Aujourd’hui en Belgique, un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.

Cette cadence métronomique fait des deux cinéastes d’origine liégeoise (Jean-Pierre est né en 1951 à Engis et Luc en 1954 aux Awirs (Flémalle)) un cas unique dans l’histoire du prestigieux festival, forçant l’admiration et le respect des cinéphiles, mais suscitant aussi parfois chez certains quelques critiques qui y voient là un privilège disproportionné, tout en défendant l’idée d’un soi-disant essoufflement de leur créativité au fil du temps…

Avouons-le d’entrée, force est de constater qu’il n’y a, dans la dernière œuvre des frères, pas de moindre plan « de trop » ou de dialogue superflu et qu’ils n’ont rien perdu de leur pertinence et de leur impact.

Toujours porté par un propos engagé et humaniste, les réalisateurs suivent les pas de deux jeunes migrants, l’un d’origine béninoise (Pablo Schils), l’autre camerounaise (Joely Mbundu). Ces faux frères et sœurs, qui se sont rencontrés sur un bateau de migrants clandestins, se lient d’amitié et unissent leur force pour survivre sur leur terre d’accueil, située en région liégeoise, qui, sous un mirage d’espoir apparaît rapidement tel un univers sordide, cruel et déshumanisé…

Critique « Tori et Lokita » (2022) : Itinéraire de deux vies qui comptent - ScreenTune
© 2022 Cinéart

Les deux jeunes gens vont en effet devoir subir d’innombrables pressions, obstacles et pièges… Lokita se heurte non seulement à l’intransigeance de l’administration face à sa situation illégale, aux menaces des passeurs qui lui réclament sa dette et à celles de sa famille restée au pays qui l’implore de lui faire parvenir de l’argent, mais aussi à l’exploitation de sa situation précaire par le cuistot d’un restaurant, en réalité un trafiquant de drogue qui la contraint à se prostituer et l’utilise comme de la main d’œuvre malléable à souhait pour gérer ses cultures clandestines de cannabis et livrer sa came… Seule l’amitié indéfectible qui lie Tori et Lokita leur permet de tenir bon, dans l’espoir de voir poindre une éclaircie à l’horizon…
Les deux protagonistes principaux sont incarnés par deux formidables acteurs non-professionnels, Pablo Schils et Joely Mbundu, omniprésents à l’écran, les cinéastes laissant finalement peu d’espace pour les autres comédiens à l’affiche, parmi lesquels on retrouve Marc Zinga, Claire Bodson, Charlotte De Bruyne, Nadège Ouedraogo, Baptiste Sornin, Alban Ukaj et Tijmen Govaerts.

Critique « Tori et Lokita » (2022) : Itinéraire de deux vies qui comptent - ScreenTune
© 2022 Cinéart

Les frères Dardenne, qui font partie du club des doubles vainqueurs de la Palme d’or à Cannes (aux côtés de Francis Ford Coppola, Shōhei Imamura, Bille August, Emir Kusturica, Michael Haneke, Ken Loach et Ruben Östlund), livrent ici un de leurs films les plus sombres et les plus pessimistes.
Sous une forme naturaliste, en suivant au plus près le calvaire de « Tori et Lokita », ils instaurent une tension permanente et un climat de plus en plus suffocant…

Leur récit, épuré et vibrant, ancré dans des paysages familiers, dénonce l’insupportable situation des sans-papiers, invisibilisés alors qu’ils errent pourtant sous nos fenêtres, au fil d’un propos dont la pertinence et la portée sont une fois de plus aussi nécessaires qu’universels…

Vincent Legros – Le 4 septembre 2022

Sources Photos : 

© https://www.cineart.be/fr/presse/tori-et-lokita

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