Jusqu’au bout des ongles

Daniel Day-Lewis

Alors que son dernier film, Phantom Thread est actuellement à l’affiche dans les salles obscures, Daniel Day-Lewis a pris la décision, peu commune dans le monde du cinéma, de mettre un terme à sa brillante carrière d’acteur. L’occasion d’en faire le bilan était trop belle pour que l’on passe à côté. Retour sur un parcours atypique au cours duquel il n’aura été à l’affiche « que » de 21 longs métrages entre 1971 et aujourd’hui, ce qui témoigne d’une certaine exigence.

 

– Actor Studio :

Né à Londres en 1957, Daniel Day-Lewis est issu d’une famille d’artistes, son père était un célèbre poète alors que son grand-père maternel était à la tête des Studios Ealing qui ont fait la renommée de la comédie britannique.

Après une adolescence difficile marquée par le décès de son père, durant laquelle il apparait pour la première fois au cinéma dans « Un dimanche comme les autres » sans pour autant être crédité au générique, il arrive vite à l’époque des choix. Passionné par le travail du bois, il ambitionne dans un premier temps de devenir ébéniste, formation pour laquelle il fut recalé. C’est en 1976 que le déclic se produit, bluffé par la performance de Robert De Niro dans « Taxi Driver » de Martin Scorsese (qu’il retrouvera des années plus tard), il s’inscrit à la Bristol Old Vic Theatre School pour devenir acteur.

 

Après quelques seconds rôles dans des films comme « Gandhi », le biopic de Richard Attenborough, ainsi que dans « Le Bounty » où il interprète le second d’un capitaine de la Royal Navy aux côtés d’Anthony Hopkins, il obtient pour la première fois le rôle principal dans « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears avec lequel il se révèle au grand public pour le personnage d’homosexuel marginal qu’il incarne.

En 1987 une nouvelle opportunité lui est offert de jouer les premiers rôles avec « L’Insoutenable Légèreté de l’être » de Philip Kaufman, pour s’imprégner de son rôle de médecin tchèque il va apprendre à parler cette langue dans le seul but d’en avoir l’accent et refusera pour la première fois de sortir de son rôle en dehors du tournage, ce qui constitue le fil rouge de sa carrière. Il se définit comme appartenant à l’école de l’Actor Studio qui consiste à se vouer totalement aux personnages que l’on incarne.

– « Je pense avoir une forte habileté à me leurrer moi-même, donc je n’ai aucun problème à croire que je suis quelqu’un d’autre » :

Deux ans plus tard, il est à l’affiche de « My Left Foot » de Jim Sheridan. Il y interprète le rôle de Christy Brown, célèbre peintre et écrivain irlandais, atteint de paralysie spasmodique, qui l’empêche d’effectuer les mouvements les plus simples et qui apprit à utiliser son pied gauche pour écrire.

Afin de s’imprégner de son rôle dans les moindres détails, Day-Lewisrefusa de quitter son fauteuil roulant où il passa plusieurs mois (les techniciens devaient le soulever sur le plateau de tournage avec un système de câbles). Il fut nourri à la petite cuillère afin d’avoir un aperçu de chaque aspect de la vie de Brown. Il finit par se casser deux côtes à cause de la position voûtée qu’il prenait dans sa chaise roulante. Cette performance lui valut une première nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur, trophée qu’il remporte pour la première fois de sa carrière.

 

Pour le cultissime film de Michael Mann« Le Dernier des Mohicans »(1992), il passe une longue période seul en forêt, isolé du reste du monde afin d’être au plus proche de la nature et de l’état d’esprit de son personnage. Il apprend notamment les rudiments de la chasse et de la pêcher ainsi qu’à se battre avec un tomahawk ou encore à charger un pistolet à poudre en pleine course.

Pour sa première collaboration avec Scorsese dans « Le Temps de l’innocence » (1993) où il donne la réplique à Winona Ryder et Michelle Pfeiffer, il parcourt les rues de New-York habillé comme un aristocrate des années 1870 durant les deux mois précédent le tournage, il va même jusqu’à prendre le nom de Newland Archer, le nom de son personnage dans le film, semant la confusion parmi ses collègues.

Pour son rôle dans « Au nom du père » de Jim Sheridan (1993), en plus de perdre plusieurs kilos, il se fait volontairement incarcérer quelques semaines et demande à subir un interrogatoire en conditions réelles, exigeant qu’on lui jette des seaux d’eau glacée et qu’on l’insulte.

 

– La qualité plutôt que la quantité :

C’est à partir de ce moment qu’il commence à se faire plus rare sur les plateaux de tournage, lassé par les exigences du métier auquel il se soumet. Sur le reste de la décennie, il ne prend part qu’à deux projets : « La chasse aux sorcière » de Nicholas Hytner en 1996, où il retrouve Winona Ryder et « The Boxer » en 1996, ce qui constitue sa troisième et dernière collaboration avec Jim Sheridan.

Il va alors prendre tout le monde à contre-pied et décide de faire une pause carrière. Pendant cinq années, Il va se consacrer à l’art de l’ébénisterie, sa première passion, tout en déclinant plusieurs rôles d’envergure dont celui d’Aragorn dans la trilogie du « Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson

 

Il revient finalement sur le devant de la scène en 2002 et retrouve pour ce faire Martin Scorsese et son film « Gangs of New-York ». Il incarne avec une conviction déconcertante le chef mafieux William Cutting, alias Bill le Boucher, qui domine le New York du XIXe siècle avec  violence. Son impressionnante prestation éclipse quelque peu celle de Leonardo Di Caprio, son rival à l’écran. Ayant contracté une pneumonie durant le tournage, il refuse de prendre des antibiotiques sous prétexte qu’ils n’existaient pas à l’époque. Nouvelle preuve s’il en faut encore de son dévouement total dans ses différents rôles.

C’est sans doute cette abnégation sans faille qui le pousse à n’apparaitre que rarement sur les écrans. En 2006, c’est son épouse Rebecca Miller qui lui offre un rôle d’ancien hippie mourant qui élève seul sa fille adolescente dans « The Ballad of Jack and Rose ».

 

Une des meilleures interprétations de sa carrière, si ce n’est la meilleure, est sans conteste celui qu’il tient dans « There Will Be Blood » de Paul Thomas Anderson et qui lui vaut son deuxième Oscars du meilleur acteur. Dans cette œuvre grandiose se déroulant dans l’Ouest américain du début du XXe siècle, il excelle dans le rôle de Daniel Plainview, un homme rendu fou par l’exploitation du pétrole et rongé par l’appât du gain.

 

Une décennie qui s’achève néanmoins en demi-teinte avec la sortie en 2009 du film musical « Nine » de Rob Marshall où il tient le rôle d’un réalisateur confronté à ses démons. Malgré une mauvaise réception critique, il est tout de même nommé aux Golden Globe du meilleur acteur dans un film musical ou une comédie.

 

– Trois statuettes et puis s’en va

Dans l’histoire des Oscars, il est tout simplement l’acteur ayant été le plus récompensé au cours de sa fructueuse carrière. C’est le premier parmi la gente masculine à remporter l’Oscar du meilleur acteur à trois reprises, il devance des grands noms du cinéma tels que Marlon BrandoJack Nicholson ou encore Dustin Hoffman pour ne citer qu’eux.

Cette troisième statuette, il l’obtient grâce à un rôle dont il ne voulait pas dans un premier temps. En effet, malgré une certaine fascination pour le personnage d’Abraham Lincoln, il hésite longtemps avant d’accepter le rôle que lui offre Steven Spielberg pour son biopic sur le 16ème président des Etats-Unis : « Pour me plonger dans un rôle, je dois explorer une autre vie que la mienne. C’est un travail que je ne parviens à effectuer que si le personnage correspond à une attente personnelle ressentie au bon moment. Dans le cas de ce biopic, même si je suis fasciné par Abe, ce n’est qu’en tant que spectateur qui rêve de découvrir une histoire qui le passionne. Pas en tant qu’interprète. »

C’est finalement sous les conseils de son confrère Leonardo Di Caprio qu’il accepte le rôle sous certaines conditions. Il parvient à convaincre Spielberg de lui laisser un an de préparation afin de s’imprégner au maximum de la personnalité de Lincoln. Une fois n’est pas coutume, il livre une prestation de haut vol, le mimétisme avec le mythique président américain vivant ses derniers mois durant lequel il va œuvrer pour l’abolition de l’esclavage est troublant.

Seule une personne, à savoir Katharine Hepburn, a remporté plus d’Oscars que lui au cours de sa carrière. Il est également le premier comédien d’origine européenne, à être lauréat de ce prix plus d’une fois et est l’unique acteur à avoir remporter le graal dans trois décennies différentes.

Il pourrait même en glaner un quatrième avec « Phantom Thread », le nouveau film de Paul Thomas Anderson dans lequel il prête ses traits au couturier de fiction Reynolds Woodcock qui habille la bourgeoisie londonienne des années 50 dans une prestation pleine de subtilité et d’empathie. Mais la concurrence sera rude avec parmi les nominés son compatriote Gary Oldman (« Les Heures sombres ») ou encore Denzel Washington (« L’Affaire Roman J. »).

Au moment de tirer sa révérence et de quitter le petit monde du cinéma, Daniel Day-Lewis peut se dire qu’il aura marqué l’histoire du 7ème art au fer rouge. Un acteur d’exception qui se donne corps et âme dans chacun de ses projets. S’il n’a pas l’aura d’un Harrison Ford ou d’un Tom Hanks il n’en reste pas moins considéré par beaucoup comme un des meilleurs acteurs de l’histoire du cinéma, ce qui est déjà exceptionnel.

 

 Damien Monami – 22 février 2018

 

– Sources :

http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=5501.html

https://www.lesechos.fr/week-end/cinema/films/0301298850845-7-roles-inoubliables-de-daniel-day-lewis-2154270.php

http://www.lefigaro.fr/cinema/2013/02/25/03002-20130225ARTFIG00357-oscars-2013-daniel-day-lewis-entre-dans-l-histoire.php

http://www.linternaute.com/citation/auteur/daniel-day-lewis/78649/

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