La force tranquille

Forest Whitaker

Une carrure qui en impose derrière laquelle se cache une personnalité humble et discrète, voici comment on pourrait résumer Forest Whitaker, tant le contraste est saisissant entre son corps massif et la douceur, presque apaisante, de sa voix. Mais une fois devant la caméra, son immense charisme et son intimidante aura nous apparaissent d’emblée.

Outre sa puissance de jeu, c’est sa sensibilité pleine de grâce qui saute aux yeux, bien plus que sa paupière gauche mi-close, cet « œil fatigué » comme disent les Américains, que l’on ne remarque même plus tant il fait partie du personnage. De ses débuts dans « Ça chauffe au lycée Ridgemont » à son rôle iconique du dictateur Idi Amin Dada dans « Le Dernier Roi d’Écosse », il s’est taillé une sacrée réputation.

Tout au long de sa brillante carrière, Whitaker a côtoyé quelques-uns des cinéastes les plus réputés de notre époque. Des personnages phares du septième art comme Martin Scorsese, Oliver Stone, Clint Eastwood, David Fincher ou encore Denis Villeneuve qui ne tarissent pas d’éloge son égard.

Récemment mis à l’honneur lors du 75ème Festival de Cannes, cette personnalité au grand cœur ne laisse personne de marbre. Retour sur 40 ans d’une carrière bien remplies.

Portrait Forest Whitaker : La Force Tranquille - ScreenTune
Photo prise par Jemal Countess - © 2013 Getty Images
  • Une vocation tardive :

Forest Whitaker nait le 15 juillet 1961 à Longview, petite ville à l’est du Texas, il est le second enfant d’une fratrie de quatre. Son père est vendeur en assurances tandis que sa mère est éducatrice spécialisée reconvertie enseignante. Tout en élevant ses enfants, cette dernière a poursuivi ses études et obtenu deux maîtrises, ce qui à conduit la famille à migrer vers la Californie ; Forest était alors âgé de quatre ans.

Adolescent, le jeune homme s’intéresse déjà au cinéma mais n’ayant pas forcément les moyens de se rendre dans les salles obscures, c’est dans les drive-in qu’il se rend afin de profiter de séances à moindre prix étant que le tarif se calcule par voiture et non par têtes. Lui et ses amis se retrouvaient ainsi entassés parfois à sept ou huit dans des voitures à peine assez grandes pour cinq personnes.

Après l’école primaire, le jeune garçon entre à la Palisades Charter High School, où son physique athlétique le conduit à intégrer l’équipe de football, ce qui l’aide à obtenir une bourse d’étude. En parallèle, il se passionne pour le chant qu’il pratique au sein de la chorale du lycée. En 1979, il entame un cursus de sport-études à l’Université polytechnique de l’État de Californie mais se voit contraint de changer d’orientation suite à une importante blessure au dos.

Forest choisit alors de se tourner vers… la musique. Il va même jusqu’à faire une tournée en Angleterre avec les Cal Poly Chamber Singers, la chorale universitaire, en 1980. Il est ensuite transféré à la Thornton School of Music de l’Université de Californie du Sud pour étudier l’opéra en tant que ténor. Paradoxalement, c’est le moment qu’il choisit pour s’essayer au théâtre… une révélation pour le jeune homme qui est ensuite accepté au Conservatoire d’art dramatique de l’université dont il sort diplômé en 1982.

Portrait Forest Whitaker : La Force Tranquille - ScreenTune
© 1982 Universal Studios. All Rights Reserved
  • Des débuts prometteurs ;

Avant même la fin de ses études, il prend part au tournage de la comédie « Ça chauffe au lycée Ridgemont » qui regroupe une pléiade de jeunes talents, allant de Sean Penn à Nicolas Cage, devenus d’immenses stars depuis. Clin d’œil de l’histoire, Forest y tient le rôle d’un joueur de football du lycée.

Il enchaîne ensuite les seconds rôles pour des réalisateurs de renom ; on le retrouve ainsi en 1986 dans « La couleur de l’argent » de Martin Scorsese, le temps d’une partie de billard face à l’immense Paul Newman. La même année, il incarne le soldat Big Harold dans le « Platoon » d’Oliver Stone, film semi autobiographique du réalisateur dont l’action se déroule pendant la guerre du Viêt Nam. Il est de nouveau “engagé“ dans cette guerre l’année suivante avec cette fois-ci « Good Morning Vietnam » de Barry Levinson dans lequel il fait office d’adjoint pour un Robin Williams déchainé en animateur de radio pour les forces armées américaines.

Portrait Forest Whitaker : La Force Tranquille - ScreenTune
© 1987 - Touchstone Pictures

Un rôle qui lui permet de taper dans l’œil de Clint Eastwood. Ce dernier est en quête d’un acteur pour incarner le virtuose de jazz Charlie Parker dans son prochain film « Bird », qui retrace la vie du célèbre musicien. Pour préparer son premier rôle principal, Forest Whitaker travaille d’arrache-pied et va jusqu’à s’enfermer plusieurs semaines dans un loft avec seulement un lit, un canapé et un saxophone – instrument dont il a appris à jouer en suivant des cours intensifs – tout en étudiant la personnalité et la gestuelle de son personnage.

Des efforts qui portent leurs fruits, le résultat est plus que convaincant, l’acteur est littéralement habité par son personnage. « Bird » est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 1988 et vaut à Whitaker le prix d’interprétation ; les membres du jury saluent une performance transcendante et touchante du jeune acteur. Également nominé aux Golden Globe dans la catégorie meilleur acteur dans un film dramatique, « Bird » donne des ailes à son interprète qui voit sa carrière décoller.

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Photo prise par Archive Photos - © 2012 Getty
  • A la recherche du second souffle ;

En 1990, on le retrouve à l’affiche de « Deux flics à Downtown » dans lequel il forme un duo atypique avec Anthony Edwards. Il enchaine avec « Rage in Harlem » avant d’obtenir le rôle central de Jody, un soldat britannique captif de l’IRA, dans « Crying Game » de Neil Jordan ; afin de rendre son personnage le plus crédible possible, il travaille sa voix afin de parler avec l’accent anglais. Une performance salué par la critique qui la qualifie comme étant “chaleureuse et extrêmement émouvante”.

Les années 90 le voient apparaître dans de nombreux films et côtoyer du beau monde : « Jeux d’adultes » d’Alan J. Pakula en 1992, « Body Snatchers » d’Abel Ferrara en 1993, « Prêt-à-Porter » de Robert Altman et son casting cinq étoile en 1994. Mais son rôle le plus marquant de cette décennie reste celui qu’il tient dans « Ghost Dog : La Voie du samouraï ». Dans ce film de Jim Jarmusch, sorti en 1999, il incarne un tueur à gage taiseux et solitaire, des pigeons pour seule compagnie, guidé par le précepte du bushido ; un rôle fondamental pour l’acteur. Comme pour « Bird, » il s’immerge à nouveau corps et âme dans l’univers de son personnage ; étudiant la philosophie orientale et pratiquant la méditation pendant de longues heures pour affiner le tueur à gages spirituel qui est en lui.

Jarmusch déclarera plus tard avoir directement pensé à Whitaker alors que le personnage-titre était en cours de développement : « il est difficile d’imaginer un autre acteur pour jouer un tueur de sang-froid avec autant de chaleur et d’humanité ».

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@ 1999 - BAC FILMS

Un autre cinéaste de renom, David Fincher, fait appel à lui pour jouer l’antagoniste principal de son film « Panic Room ». Face à une Jodie Foster tenace et prête à tout pour protéger sa fille, il incarne un cambrioleur bien décidé à mettre la main sur un butin colossal. Le film sort en 2002 et est un succès ; Son interprétation du “méchant” a été décrite comme “une subtile alchimie entre agressivité et empathie”.

La même année, il est à l’affiche du thriller « Phone Game » de Joel Schumacher aux côtés d’un Colin Farrell pris en otage d’une cabine téléphonique, il tient le rôle du capitaine de police Ed Ramsey qui tente de convaincre l’homme de sortir de la cabine sans se douter qu’un tireur d’élite prend ce dernier pour cible.

Par la suite, il s’essaye pour la première fois à la réalisation avec la comédie « Des étoiles plein les yeux » dont il est également le narrateur. Il retrouve ensuite Abel Ferrara avec « Mary » (2005) dans lequel il côtoie notamment la française Juliette Binoche. Il joue ensuite dans des films plus confidentiels, comme « Crime City », « American Gun » en ou encore « Even Money », en attendant le rôle la consécration…

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© Fox Searchlight Pictures
  • D’Amin Dada à Obama ;

Et quel rôle ! Celui du dictateur ougandais Idi Amin Dada, qu’il incarne à la perfection dans « Le Dernier Roi d’Écosse » de Kevin Macdonald. Comme à son habitude, Forrest s’est donné du mal pour coller le plus que possible au personnage. Outre la prise de quinze kilos, il s’est largement documenté, s’est rendu en Ouganda pour rencontrer des amis, des parents, des généraux et des victimes d’Amin Dada afin de cerner sa personnalité complexe, il a également a appris le swahili et l’accent est-africain.

Des efforts qui ont payés tant l’acteur se fond dans son personnage, qu’il dépeint à la fois grotesque et menaçant, brute sanguinaire à l’extravagance démesurée et “roi“ arrogant sur son trône. Saluée de toute part, sa performance éblouissante lui permet de rafler les prix les plus convoité dont l’Oscar, le Golden Globe et le BAFTA du meilleur acteur, rien que ça !

Dans le même temps, il intègre la distribution de « The Shield », une des séries les plus populaires de ces dernières années. Lors des saisons 5 et 6, Whitaker endosse le costume du lieutenant Jon Kavanaugh, déterminé à faire tomber le personnage principal.

En 2007, son ami Denzel Washington fait appel à lui pour lui confier le rôle du père de James Farmer Jr, célèbre activiste pour les droits civiques,  alors que celui-ci est encore étudiant et membre de l’équipe de débat de son lycée dans « The Great Debaters ».

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© 2013 - The Weinstein Company. All Rights reserved.

Jusqu’en 2010, il enchaine avec « Angles d’attaque » aux côté de Denis Quaid, fait équipe avec Keanu Reeves dans « Au bout de la nuit » de David Ayer, est propulsé gardien de prison face au détenu Adrian Brody dans « The Experiment ».

Il faut attendre 2013 pour un nouveau rôle marquant dans « Le Majordome », l’un de ses plus grands succès critiques et commercial à ce jour. A travers l’incroyable parcours de Cecil Gaines, à qui l’acteur prête ses traits, qui devient majordome à la Maison-Blanche après avoir grandi dans les champs de coton. A travers son regard toujours bienveillant, on suit tous un pan de l’histoire des Etats-Unis, d’abord sous les sept présidents qu’il a servi de 1957 à 1986, avec comme trame de fond la lutte pour les droits civiques, puis, la fin de sa vie marquée par l’élection de Barack Obama en 2008.

Forrest Whitaker y trouve enfin un rôle à la mesure de son immense talent après celui d’Idi Amin Dada sept ans auparavant. Sa prestation toute en retenue de cet homme de l’ombre est magistrale, définitivement le moteur du film de Lee Daniels.

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© 2016 Paramount Pictures. All Rights Reserved.
  • Une notoriété au service de la paix ;

En plus d’être un grand acteur, Forest Whitaker est aussi un grand homme. En parallèle de sa carrière d’acteur, il consacre une grande partie de son temps au travail humanitaire. Intronisé ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO en 2011, il œuvre pour la paix en usant de sa notoriété. Avec l’aide de son épouse il fonde association Whitaker Peace and Development Initiative qui vise notamment à soutenir et développer des initiatives destinées à autonomiser les jeunes et à les empêcher d’entrer ou de rester dans des cycles de violence.

Il enchaine alors les bons choix avec plusieurs apparitions remarquées et remarquables.  D’abord dans le thriller d’action sud-africain « Zulu » où il fait équipe avec Orlando Bloom dans une enquête sur fond d’Apartheid. Il incarne ensuite un officier de police dans « Les brasiers  de la colère » qui met en vedette, entre autres, Christian Bale et Casey Affleck.

Il se distingue dans « La Rage au ventre » d’Antoine Fuqua – un des gros succès de l’année 2015 – en ancien boxeur reconverti entraineur auprès d’un Jake Gyllenhaal torturé et revanchard. On le retrouve ensuite au casting de l’excellent « Premier Contact » de Denis Villeneuve, une œuvre de science-fiction surprenante – porté par Amy Adams – dans lequel il dirige une équipe chargée d’établir le contact avec des extraterrestres apparu soudainement et connaître leurs intentions.

Portrait Forest Whitaker : La Force Tranquille - ScreenTune
© 2016 - Lucasfilm Ltd. All Rights Reserved.

Il prend ensuite la direction de deux franchises les plus populaire et lucrative de notre temps avec d’un côté l’indémodable Star Wars et de l’autre l’omniprésent Marvel. Il prête d’abord ses traits au rebel Saw Gerrera dans « Rogue One: A Star Wars Story », rare satisfaction depuis le début de l’ère Disney. Puis il fait partie de la nation fictive du Wakanda dans « Black Panther » sous les traits de Zuri, conseillé intime du roi T’Challa (le regretté Chadwick Boseman).

Entre les deux, il a eu le temps d’incarner à l’écran une personnalité qui lui tient à cœur, l’archevêque sud-africain et prix Nobel de la paix Desmond Tutu, dans le thriller judiciaire « The Forgiven ». Bien que son interprétation soit saluée – comme le souligne Libération : « C’est hallucinant, il est Desmond Tutu. Dans sa voix, dans sa démarche, dans ses relations avec sa femme, tout est incroyablement juste. » – le film est lui fortement décrié.

Dans le drame inspiré de faits réels « Burden », il incarne un pasteur magnanime qui aide un membre du Ku Klux Klan, en quête de rédemption, à quitter l’organisation. Un film d’assez bonne facture, pourtant passé inaperçu chez nous, puisque sorti directement en VOD durant la crise du covid.

Portrait Forest Whitaker : La Force Tranquille - ScreenTune
@ 101 Studios

Depuis 2019, Forest Whitaker tient le rôle principal de la série « Godfather of Harlem » – prequel du film « American Gangster » – qui retrace l’ascension du criminel Ellsworth Bumpy Johnson dans le milieu du XXe siècle.

Son dernier rôle en date fut celui du révérend Clarence L. Franklin, père strict mais aimant de la reine de la soul, Aretha Franklin, dans le biopic en son honneur intitulé « Respect ». On le retrouvera prochainement aux côtés de Tom Hardy dans le thriller d’action « Havoc ».

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© 2020 - MGM

Visage incontournable du cinéma mondial depuis maintenant quatre décennies, travailleur hors-pair et perfectionniste, Forest Whitaker est de la trempe des plus grands. Homme de convictions, digne représentant de la communauté afro-américaine qu’il incarne à travers ses rôles les plus iconiques, il a su garder les pieds sur terre et a acquis tous au long de sa carrière un capital sympathie important auprès du public.

Même s’il n’a pas toujours fait les bons choix, il s’applique, avec la rigueur qui le caractérise, à faire tous ce qu’il juge nécessaire pour donner de la crédibilité à ses rôles, peu importe qu’il s’agisse d’Amin Dada ou un personnage secondaire dans un Marvel.

Par-dessus tout, Whitaker croit que les gens ordinaires peuvent et doivent s’unir pour changer le monde. Selon ses propres termes, « Même une action apparemment modeste peut provoquer des ricochets qui ont un impact ».

Damien Monami – Le 15 juillet 2022.

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