The Man in the High Castle
Dans son ambition de concurrencer Netflix et son quasi-monopole en matière de série, Amazon s’est lui aussi lancé dans la production télévisuelle. La plateforme de ventes en ligne s’est octroyé les droits de « The Man in the High Castle », adaptation du roman uchronique de Philip K. Dick., « Le Maître du Haut Château ».
Créée par Ridley Scott et Frank Spotnitz, le série nous embarque dans les années 60 mais pas celle que nous connaissons, ici point de Beatles, de Kubrick où de Woodstock mais une Amérique sous occupation avec d’un côté les Nazis et de l’autre, les japonais, vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale. La résistance s’organise cependant sous notre regard avisé.
Le 2 septembre 1945, la Seconde Guerre Mondiale a pris fin par la capitulation du Japon et la victoire des Alliés ramenant la paix en ce bas monde. Pourtant, tout aurait pu en être autrement, c’est ce qu’a imaginé l’auteur à succès Philip K. Dick (auteur notamment de « Blade Runner »). Le Maître du Haut Château nous embarque dans une réalité alternative où les puissances de l’Axe occupent une bonne partie du monde y compris les Etats-Unis qu’ils se partagent, non sans tensions dans cette ambiance de guerre froide dans laquelle nous embarque les show-runners.
Si le roman nous raconte un récit calme sur la vie quotidienne des américains dans un San Francisco sous occupation japonaise, les scénaristes ont pris quelques libertés par rapport à ce dernier pour mieux cadrer avec le format série qui impose un certain rythme. Ici c’est la résistance qui fait office d’élément central, là où Dick n’en fait que peu mention, les Nazis ont également plus d’importance alors qu’ils ne sont qu’une menace lointaine dans le livre.
Dernière liberté prise, et non des moindres, Dick introduit un élément perturbateur dans son récit qui fait mention d’une réalité où les Alliés ont mis fin à la guerre sous la forme du livre « la sauterelle pèse lourd ? ». Dans la série, cet élément prend la forme de films, ce qui confère une autre dimension au raisonnement de l’auteur, notamment un côté SF plus présent ici. En introduisant ces films, la série fait un choix payant, il est plus difficile de mentir avec des images réelles (des soldats soviétiques en train de prendre Berlin ou des marines US entrain de soulever le drapeau de la victoire à Iwo-Jima) qu’avec des mots, Philip K. Dick insinuait que le maître du haut château pouvait être un menteur alors qu’ici il est l’arme de la résistance.
Si vous êtes avide d’action, d’éléments qui s’enchaînent à vitesse grand V et de rebondissements en tout genre, passez votre chemin. « The Man in the High Castle » est une série qui prend son temps, si révélation il y a, elles n’arrivent qu’au compte-goutte. Il n’y a pas de scènes d’action sans de longues descriptions au préalable, un rythme lent s’impose au spectateur qui a tout le loisir de repérer chaque référence, parfois difficile à saisir.
Les amateurs d’histoire seront séduits par ce programme, notamment grâce au travail d’orfèvre de la direction artistique et son souci du détail, leur reconstitution de l’époque, bien qu’alternative, des années 60 est des plus soignée, la création de Spotnitz est l’une des plus réussie de la décennie de ce point de vue.
Au niveau des personnages, il n’y a pas grand-chose à jeter, quel que soit le camp auquel ils appartiennent, chacun d’entre eux est approfondi, même si certains se révèlent assez ambigus comme Joe Blake dont il n’est pas évident de savoir de quel côté il se situe. Néanmoins certains s’enfoncent un peu trop dans les clichés comme le Marshall sans foi ni loi qui fait régner l’ordre dans la zone neutre.
Dans cette brochette d’acteurs, méconnus du grand public pour la plupart, trois d’entre eux tirent leur épingle du jeu : Rufus Sewel (vu notamment dans « L’illusionniste ») dans la peau de l’Obergruppenfurher John Smith qui parvient à montrer un côté humain malgré son allégeance aux Nazis ; Joel De La Fuente dans le rôle de l’inspecteur Kido, le chef des Kempetai (gestapo japonaise) personnage froid et presque dépourvu d’émotion ; et enfin Cary Hiroyuki-Tagawa qui livre sans doute la meilleure performance du casting pour son incarnation d’une grande sensibilité dans la peau de la Ministre du commerce Tagomi, qui ne se sent pas à sa place dans ce monde plein de tensions.
Au-delà de son but premier qui est le divertissement, « The Man in the High Castle » soulève quand même de nombreuses interrogations pertinentes sur la société dans laquelle nous évoluons. Il y a certains parallélismes entre cette uchronie et notre monde où l’homme se croit au-dessus de la mêlée sous prétexte de son intelligence supérieure. Les questions sur le racisme et la haine de l’autre, la soif du pouvoir, les dictatures, la guerre voire même l’environnement y sont légion avec comme fil rouge le « pourquoi ? ».
« The Man in the High Castle » est une vraie réussite malgré certains défauts qui ne portent pas préjudice à l’ensemble. Certains puristes lui reprocheront les libertés prises par rapport au roman de K. Dick, d’autres sa lenteur relative mais si ces paramètres peuvent déplaire à certains, ils sont dans l’intérêt du programme. Voici une série qui vaut le coup d’œil grâce à une direction artistique ultra travaillée, un scénario bien ficelé et une grande intelligence de propos. La troisième saison est prévue pour cet automne alors que la série vient d’être renouvelée pour une quatrième saison. En attendant, plongez dans ce monde parallèle peu enviable.
Note : 7/10
Damien Monami – Le 5 septembre 2018